L’employeur peut-il fonder le licenciement d’un salarié parce que celui-ci refuse d'accepter la politique de l'entreprise et le partage des valeurs « fun & pro » ?
Cour de cassation, Chambre sociale, 9 novembre 2022, 21-15.208
Cour d’Appel de Paris (Arrêt après cassation), 30 janvier 2024
La Cour de cassation avait répondu par la négative le 9 novembre 2022 et la décision de la Cour d’Appel de Paris du 30 janvier 2024, suit une logique simple :
- le fait de reprocher à un salarié de ne pas adhérer aux valeurs « fun & pro » prônées par l’employeur contrevient à sa liberté d’expression, motif de licenciement interdit par la loi ;
- le licenciement fondé sur ce reproche doit être annulé, le salarié doit pouvoir être réintégré à son poste et recevoir le paiement des salaires dont il a été privé depuis son éviction.
« Élémentaire, mon cher Watson » : le licenciement annulé est sensé ne jamais avoir eu lieu.
En l’espèce, il s’avère qu’il s’est écoulé près de 10 ans entre le licenciement du salarié, intervenu en 2015, et la décision de la Cour d’Appel de Paris, intervenue en 2024… C’est la raison pour laquelle la somme allouée est si importante.
Explications :
L’article L1232-1 du Code du travail dispose que « tout licenciement » doit être justifié par une « cause réelle et sérieuse ».
Or, un licenciement motivé par un motif interdit par la loi ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse et le juge doit annuler le licenciement litigieux avec toutes les conséquences que la nullité doit entraîner et notamment, si le salarié souhaite sa réintégration, c’est-à-dire :
- réintégration du salarié ; et
- paiement des salaires dont le salarié a été privé au cours de la période qui s’est écoulée entre la rupture du contrat et sa réintégration.
Les cas de nullité sont prévus par la loi et ce sera notamment le cas des licenciements prononcés en raison d’une violation d’une liberté fondamentale (liberté d’expression, liberté syndicale, liberté religieuse, droit de retrait du salarié) et/ou d’une discrimination.
En effet, l’article L1121-1 du Code du travail, écho à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, dispose que « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».
« Il résulte de ces textes que sauf abus, le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression.
Le caractère illicite du motif du licenciement prononcé, même en partie, en raison de l’exercice, par le salarié, de sa liberté d’expression, liberté fondamentale, entraîne à lui seul la nullité du licenciement » (Cass. Soc. 9 novembre 2022, n°21-15.208).
En l’espèce, les valeurs « fun & pro » de l’entreprise « se traduisait par la nécessaire participation aux séminaires et aux pots de fin de semaine générant fréquemment une alcoolisation excessive encouragée par les associés qui mettaient à disposition de très grandes quantités d’alcool, et par des pratiques prônées par les associés liant promiscuité, brimades et incitation à divers excès et dérapages » (Cass. Soc. 9 novembre 2022, n°21-15.208).
Le salarié était donc libre d’y adhérer ou pas.
« Qu’elle est belle la liberté, la liberté… ! » (Heureux qui comme Ulysse, Georges Brassens).